« Non mademoiselle, madame a dit que vous ne pouviez pas emmener cette poupée avec vous. » Mes yeux se remplirent de larmes, je serrais contre moi cette poupée qui était comme ma meilleure amie. J'avais trois ans et je savais que l'on quittait New-York pour partir loin. Mon père avait été muté à Los Angeles, une ville parait-il était grande comme le monde. On finissait mes bagages et je restais sur mon lit à passer les mains dans les cheveux blonds de ma poupée. J'avais déjà pu emmener une autre et aussi un ours en peluche, mais nous devions voyager léger. Je la posais sur mon lit avant de descendre les escaliers de notre demeure new-yorkaise. Mon père était en train de faire les derniers préparatifs et ma sœur ainée, Nowelle attendait, assise sur les marches. Mon père était français, immigrant et arrivant par Ellis Island il y a de cela huit ans. Il a rencontré ma mère, il s'est marié et a monté sa propre entreprise qui s'est révélée être un succès fulgurant. On est parti le soir même à la garde, plusieurs jours de train nous attendaient pour arriver à Los Angeles. Je me souviens encore de la première fois que j'ai vu cette ville. Les lumières, le bruit...

« Ce n'est pas la fin du monde Winny. » Mon père passa sa main sur mon visage d'une caresse affectueuse. J'avais six ans et on venait de l'appeler à combattre pour la guerre. Les Etats-Unis venaient de rentrer en guerre, 1917, et on avait pris mon papa adoré pour qu'il combatte. J'étais en train de pleurer et ma mère râlait: « Pleurer est un signe de faiblesse! » Mon père commençait de plus en plus à mépriser son comportement. Depuis que l'on était arrivé à Los Angeles, il y a trois ans, ma mère se comportait comme une véritable célébrité, se croyant supérieure à la plupart des gens. Elle ne supportait pas ma sœur, ni moi-même, nous avions toujours l'amour par notre père ou par notre nourrice. « On s'écrira, et puis je serais là pour Noël. » Il a déposé un baiser sur ma joue avant de partir. Il n'est jamais revenu. J'ai attendu patiemment le 24 décembre qu'il rentre et en retour nous n'avons eu que son médaillon de guerre qui définissait qu'il était tombé au combat. J'ai pleuré toute la nuit de Noël, dans les bras de ma sœur qui essayait de faire plus mûre que son âge. Ma mère n'a pas pleuré, a force je me suis demandé si elle l'avait réellement aimé.

« De toute façon tu nous a jamais aimé! » Nowelle s'était levée de table en hurlant les pires horreurs à notre mère. J'ai quinze ans. Ma soeur a un petit ami qui travaille en tant que cuisiner dans un restaurant. Ma mère ne l'admet pas. Depuis que notre père est parti, tout a changé. Ma mère ne fait plus attention à nous sauf pour se mettre en avant, elle contrôle la société de notre père, notre héritage est vérifié au moindre centime. On ne peut que compter sur notre nourrice, une femme noire de quarante ans qui prend soin de nous comme si nous étions ses filles, elle a beau ne pas être comme nous, je l'aime ma Nannie. « Tu n'as pas pleuré quand Papa est mort! Tu n'as jamais daigné nous montrer une marque affectueuse! J'ai toujours aidé Winona et toi, tu ne parlais que pour nous dénigrer! » « Ça suffit! » Je venais de voir le visage rouge de ma mère et je replongeais aussitôt le nez dans mon potage. « Tu ne peux pas sortir avec un homme pareil! Tu m'entends? Ce serait une véritable honte que tu inculquerais à ta famille! » « Ma famille? Mais quelle famille?! Papa est mort! Tu n'es pas une mère et il n'y que Winona que je considère comme ma véritable famille! De toute façon je savais que tu ne serais pas d'accord et c'est pour ça que je pars de cette maison! » « Et avec quel argent? C'est moi qui contrôle ton héritage! » Nowelle n'écoutait même plus sa mère avant de monter en trombe dans sa chambre. J'avais envie de pleurer, voyant l'air de ma mère je retins mes larmes avant de sortir de table à mon tour et de me rendre dans la chambre de ma sœur ainée. « Tu vas me laisser toute seule? Ici? » Je la regardais avec mes yeux remplies de larmes, elle se leva avant de me prendre dans ses bras. « Je suis désolée Winny... Je ne peux plus vivre ici, mais je te promets que quand tout ira bien, tu viendras me rejoindre. » « Je ne veux pas que tu me laisses avec elle. » Ma voix était étranglée par les sanglots tandis que ma sœur passait sa main dans mes cheveux roux. Je savais que son départ allait déclarer un nouveau bouleversement. Elle est partie le lendemain, sans un mot pour ma mère, elle m'a embrassé sur la joue. C'était le même baiser que mon père m'avait donné neuf ans plus tôt.

« Et voilà, une jolie fleur pour une princesse. » Nannie m'accrochait une fleur dans mes cheveux et je regardais mon reflet dans le miroir. J'étais loin d'être une mariée enjouée, si je pouvais je serais partie, mais où? Et avec quel argent? Nowelle ne m'avait donné aucune nouvelle depuis qu'elle était partie il y avait quatre ans. J'ai dix-neuf ans et dans moins d'une demi-heure je passerais devant le prêtre pour le sacrement du mariage. Ma robe est blanche, mon maquillage est ajusté mais je ne veux pas m'y rendre. Ma mère a arrangé ce mariage pour que la société de mon père s'agrandisse, du coup je dois épouser le fils de ce futur collaborateur. Nous n'avons strictement rien en commun. Il a vingt-deux ans et vient d'entrer comme scénariste au cinéma. « Nannie... Je suis sûre que papa n'aurait pas accepté ce mariage. » Je la regarde à travers le miroir, elle ne sourit pas mais pose ses mains sur mes épaules frêles. « Votre père n'est plus là mademoiselle, il faut faire ce que madame veut. » Mon estomac se serre et je me lève. Ma mère entre dans la pièce avec un grand sourire aux lèvres. « Tu es très jolie. » Puis, je suis entrée dans une église où je ne connaissais personne. Il n'y avait pas ma soeur. Personne à part ma mère qui contrôlait ma vie au détail près.

Mon mariage c'est avant tout un contrat entre nos familles. J'ai vingt-trois ans et même si je suis l'héritière du grande fortune, je ne trouve pas ma place dans cette société. Entre mon époux William et moi, il n'y a aucun courant qui passe. Ma mère veut absolument que je tombe enceinte et elle ne sait pas que je refuse toute consommation de mon mariage. Si elle le savait, j'aurais le droit à la pire punition de ma vie. Non, moi je rêve juste d'aider les gens, mais on croit que je suis juste une bourgeoise qui est hypocrite. J'ai rencontré un homme une fois, à la plage. J'avais demandé à mon chauffeur de m'y emmener pour que je réfléchisse à plusieurs choses et il m'a déclaré: « Je ne comprends pas comment on peut être peiné quand on peut manger à sa faim le soir. » Je suis restée bouche bée. Par ses vêtements je me suis doutée qu'il était de la classe ouvrière mais jamais je ne me serais permis de dire une chose telle quelle. Nous n'arrêtons pas de nous croiser, même un soir où j'aurais préféré qu'il ne voit pas ça. Je marchais à côté de mon époux qui me faisait une scène. « Tu me fais honte! Tu pourrais t'intéresser à notre projet! Au lieu de ça tu m'as humilié devant tous mes collaborateurs! » Je ne le regardais pas, en fait je me mordais la langue pour lui dire que son projet je m'en moquais, j'étais malheureuse et il ne le voyait pas. J'ai senti une étreinte violente à mon poignet: « Tu m'écoutes quand je te parles! » L'étreinte me brulait, j'ai fermé les yeux attendant un coup, et rien. Il n'avait pas l'habitude de me taper, mais avec ce genre d'homme on pouvait s'attendre à tout. L'homme que j'avais rencontré à la plage est passée à côté, me jetant un coup d'œil furtif avant de continuer son chemin comme si de rien n'était. Dans notre maison, mon mari m'a embrassé avant d'essayer de passer ses mains sous mon corsage et je l'ai repoussé, pour la énième fois depuis quatre ans. Je ne voulais pas de lui. « Ne me touche pas! » Il a voulu me rattraper mais comme d'habitude je me suis enfermée dans une chambre que j'avais choisi pour passer mes nuits loin de lui.

Une vie de princesse? Une vie qui est plutôt un enfer.